• Indispensable suite de l'article de Giulio .

    « Divide et impera ! » (2)

    Chacun pour soi et personne pour tous

       

    C’est que, n’en déplaise au bon monsieur Hessel, il ne suffit pas de s’indigner, de protester ou d’essuyer une petite larme sur les dépossédés du fruit de leur labeur. Encore faut-il le faire tous ensemble, en bloc, comme la vague irrésistible formée de trillions de gouttes sans force propre, mais simplement réunies, ou celle que pourrait former l’ensemble des travailleurs contre la tyrannie des marchés et des politiciens opportunistes ou résignés soumis à leur loi. Pourquoi se contenter de descendre dans la rue, séparément, sporadiquement, par groupes de quelques dizaines, centaines ou milliers, voire dizaines de milliers, lorsque nous sommes des centaines de millions ? Divide et impera ! Les grands capitalistes et nos dirigeants à leur botte n’ont pas besoin de se fatiguer à nous diviser (dividere), donc pour régner (imperare), exploiter, réduire les peuples à la misère. Les travailleurs et leurs syndicats font ce qu’il faut pour cela d’eux-mêmes, en cultivant leurs particularismes, leur égoïsme, leur chauvinisme, leurs divisions, pour rouspéter chacun pour soi et personne pour tous. Un atelier métallurgique qui risque de fermer, et c’est tous les métallurgistes du pays, voire d’Europe, qui devraient se mobiliser, et non seulement les quelques travailleurs concernés.

    La misère, le désespoir, les suicides se multiplient dans toute l’Europe du sud, et nous pensons pouvoir en rester épargnés, comme le pensent, même là-bas, en Grèce, Italie, Espagne et au Portugal, les quelques individus qui voudraient tirer chacun pour soi leur épingle du jeu. L’Irlande, la France et l’Angleterre sont déjà attaquées, comme naguère la peste, éclatée à Naples, Marseille ou Séville, ne tardait pas à atteindre Londres, Luxembourg ou Copenhague. Avec la misère provoquée par l’austérité qu’exigent les marchés et qu’imposent les politiciens, réapparaît déjà massivement en Europe du sud le travail des enfants. Il avait pratiquement disparu d’Europe. Qu’attendons-nous dès lors pour exiger la valorisation du travail, la réévaluation de l’homme et la dévaluation de l’Euro ? Qu’attendent nos syndicats, qu’attend la presse populaire, pour appeler à une mobilisation simultanée et massive de toutes les forces réellement progressistes d’Europe ?

    La preuve est faite à présent en Grèce, pays martyr et cobaye de cette nouvelle politique mortifère, que ce matraquage financier est un désastre. Sa situation empire de jour en jour, son économie s’effondre et son endettement augmente vertigineusement au fur et à mesure que les milliards y sont injectés, comme dans le fameux tonneau sans fond des Danaïdes. Les économistes savent pourtant tous – et nombreux sont ceux qui n’hésitent plus à le dire – que seule une dévaluation massive de l’Euro, le ramenant au moins à sa parité initiale avec le Dollar, pourrait sauver l’économie européenne du désastre qui frappe aujourd’hui la Grèce et qui enfoncera demain toute l’UE dans la récession et la misère. Récession ? Mais oui, on vient d’annoncer que, mesurée sur la moyenne des pays de l’UE, elle a déjà commencé. Voulons-nous qu’elle devienne dépression, ouragan qui emporte tout ? Voulons-nous revivre la catastrophe des USA après 1929 ou de l’Allemagne début des années trente, dont naquit le nazisme, lorsque aujourd’hui, dans toute l’Europe, les extrêmes droites reprennent du poil de la bête, aspirent et poussent aux affrontements, donc aux guerres ?

    La question primordiale est : une dévaluation de l’Euro pourrait-elle encore sauver la donne ? Et la réponse est un oui, sans doute, mais suivi d’un mais. Car la mesure n’est pas suffisante en soi, et le remède pourrait se révéler à terme aussi létal que le mal, s’il n’est pas accompagné d’importantes meures de sauvegarde des droits et du pouvoir d’achat des travailleurs. Il faudrait donc, simultanément à cette dévaluation, prendre au moins certaines actions d’appui et compensatoires. Je pense, que dans un premier stade s’imposent... Une taxation sérieuse de toutes les transactions financières et maximale sur les profits spéculatifs, et ce, afin de réduire la bulle financière et de réorienter les capitaux vers l’industrie et les PME, investissements qui pourraient être au contraire partiellement ou entièrement détaxés.

    Des taxes à l’importation inversement proportionnelles au niveau salarial et de protection sociale des pays dont les marchandises et services sont importés, et ce, afin de lutter contre le dumping social pratiqué par certaines nations.

    L’introduction d’une indexation complète des salaires et retraites sur le coût réel de la vie dans toute l’UE ou, au moins, dans la zone Euro, et maintien des régimes de retraite au moins à leur niveau actuel.

    Les mêmes conditions salariales (notamment le SMIG) et prestations sociales dans toute l’Union Européenne, calculées en proportion du coût des biens et services dans les pays respectifs, ce qui rend l’établissement d’un système d’index comparés particulièrement utile, sinon indispensable.

    Il ne s’agit là – chacun l’aura compris – que de mesures d’urgence pouvant nous sortir du cataclysme dans lequel nous enfonce le système néolibéral, tout en ne remettant pas immédiatement en question le dit système. Une telle refonte me paraît pour l’heure difficile et, en tout cas, impossible à réaliser dans l’urgence, c’est-à-dire avant le début de l’écroulement du temple capitaliste dédié au dieu Mammon, que ces premières dispositions devraient accélérer.

    Attention, même un fois les pires avaries réparées, les trous calfatés et le bateau remis à flot, il ne sera pas apte pour autant à affronter les tempêtes de l’avenir. Il continuera en effet à toujours voguer sous le commandement d’incapables totalement amoraux et d’organisations dépersonnalisées, où personne n’est responsable, comme les grands groupes financiers ou l’OMS. Il faudra donc prendre des mesures plus sérieuses. C’est-à-dire, qu’il faudra harmoniser puis unifier les systèmes juridiques et sociaux des vingt-sept ou, du moins, de ceux qui voudront rester dans l’UE. Il faudra aussi remplacer ce comble de l’injustice sociale qu’est la TVA (1) par des impôts correspondants et progressifs sur les revenus et les profits. Je pense au type d’impôt Roosevelt (New Deal) qui permit aux USA de sortir de la crise, de devenir la première puissance économique du monde, d’affronter la guerre et de soutenir la reconstruction de l’Europe et du Japon. (2) Il faudra notamment que soit aussi mise en oeuvre au niveau de chaque nation une politique progressive de nationalisation des grandes unités industrielles de production, sans expropriation d’abord, mais par privation de l’action de tout droit décisionnaire et de vote, l’actionnaire continuant à percevoir les bénéfices de son capital (3), jusqu’à ce que l’état ne soit en mesure de le lui racheter s’il l’estime utile.

    ***

    1) Sur l’injustice scandaleuse qu’est la TVA, lire mon article détaillé en deux parties dans notre Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek des 22 et 23.7.2005, intitulé « TVA : comment les États rackettent les pauvres », disponible à la rédaction, ainsi que la 2e partie de mon article « Les arnaques se suivent et ne se ressemblent pas » : « Taxe sur la valeur ajoutée, le vol légalisé » du 1.9.2011, en ligne sub www.zlv.lu/spip/spip.php ?article 5630

    2) ... En trois étapes, il (Roosevelt) fera passer progressivement le taux (maximal d’imposition) à 91%. En 1935, le » Revenue act » (...) remet à plat les règles d’imposition pour les hauts revenus. Les personnes gagnant plus de 200.000 dollars ( un million de dollars aujourd’hui) par an sont taxées plus fortement, à hauteur de 63%. La loi fut révisée en 1936, augmentant le taux à 79% puis atteindra 91% en 1941. Pendant près de 50 ans, les États-unis vivront avec un taux marginal d’imposition sur les très hauts revenus proche de 80% ... – Lise Tiano, Le Nouvel Observateur, 29.2.2012

    3) ... après avoir provisionné les réserves financières et les réinvestissements nécessaires au bon fonctionnement, à la modernisation et au développement de l’entreprise. Il est en effet inadmissible, que le bénéfice (pharamineux) d’un exercice soit distribué en dividendes, et que peu après (comme PSA Peugeot Citroën) on décide de fermer des usines, liquide des postes de travail, pousse à la faillite des dizaines de sous-traitants et à la fermeture un grand nombre de commerces et en appelle au soutien de l’état, donc du contribuable, parce qu’on n’a pas prévu une baisse conjoncturelle, pourtant pas rare dans le secteur.

    Giulio-Enrico Pisani

     jeudi 22 novembre 2012
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  • Commentaires

    1
    Vendredi 30 Novembre 2012 à 11:57

     Diviser !... Comment pourrait-il en être autrement face a la foultitude de motifs d'insatisfaction et de prises de positions sur des sujets de sociétés aussi divers que le droit au travail avec l'assistance et les soins en matière de santé, pour tous, le droit à la libre circulation des peuples et à celui de la citoyenneté reconnue pour les étrangers séjournant depuis plusieurs mois dans le même pays, l'égalité et des sexes, la parité dans tous les secteurs de la vie publique, la libéralisation de la prostitution à reconnaître comme profession, la reconnaissance et le droit de mariage des homosexuels, Tout ce qui concerne les économies de marchés, à réguler, la faim dans le monde, la monté des fanatismes religieux, désastres sociaux, guerres fratricides auxquels il faut encore ajouter tout ce qui touche au respect de l'environnement, les luttes innombrables contre les multiples facteurs de pollutions liés à nos besoins, à notre avidité sans limite, engendrant la profusion des gaspillages, etc... chaque cause mobilise ses militants... la division commence là... trop de causes différentes propulsent les gens dans la rue, en nombre certes, mais bien insuffisant pour chacune d'elles...

    Régner !... Là c'est effectivement l'individualisme qui est responsable de ce marasme... Le « chacun pour soi » étant de mise... La toute puissance de l'ego manifeste et à l’œuvre dans chaque nature humaine.

    Que ne réalise-t-on pas comme déchéances résultant des luttes de ces « ego » au titre de l'élitisme où c'est le concours à outrance pour poindre, évincer puis dominer ses rivaux qui prévaut, s'ensuivant du « paraître » en étalant sa réussite sociale à travers tous les artifices de la vie matérielle...

    Civilisation, ça ne devrait aller de paire qu'avec Civisme... Nous sommes tous responsables de ce qui survient, nuit notre avenir et celui des générations qui viendront après nous...

    Alors, on peut rêver et imaginer que, las de ces turpitudes, l'humanité un jour se réveille et qu'un beau matin, tous les hommes et les femmes de ce vaste monde animés de « Bonne Volonté », friands d'un réel changement dans notre manière de vivre, tous et toutes dehors on fasse un « sitting », bras croisés, sans prononcer la moindre parole, ni proférer le moindre cri, simplement rester là, immobiles, inactifs mais bien présents, ayant cessé toutes activités, seulement  24 heures  durant, pour faire entendre que c'est toute l'humanité qui en a marre et qui veut que cela change vraiment, pour faire, une fois pour toutes, véritablement échec à ce qui gouverne le monde présentement : le fric et les friqués tyrans... 

    Oui, seulement une journée entière où le monde cesserait de vivre, la planète soudain en apnée, pour mettre en exergue ce misérabilisme de nos existences inféodées au pouvoir de l'argent que brandissent les empires financiers et que, le jour d'après, ils s'écroulent définitivement sur eux-mêmes...

    Tiens !  J'ai rêvé d'un autre monde ...

    2
    claudeleloire Profil de claudeleloire
    Vendredi 30 Novembre 2012 à 20:27

    mon rêve est semblable au tien Patrice, il suffirait d'un jour où mondialement les travailleurs cesseraient leur turbin pour un sitting d'envergure, suspendant le cours de l'économie ... C'est possible ... je veux y croire ...

    Qui sait ?

    amitié .

    3
    giulio 1
    Samedi 1er Décembre 2012 à 11:17

    Suis partant ! Et si on commençait par faire s'assoir le demi milliard de travailleurs de l'UE depui le parc du Cinquantenaire et la Joyeuse Entrée, jusqu'au Jardin du Maelbeeck et du Parc Léopold face aux administrations communautaires afin d'amener la Commission et le Conseil à amener à abandonner leur cours néolib, d'abolir le traité de Lisbonne et détablir un traité où le travail primerait le capital et l'être humain le profit.

    4
    claudeleloire Profil de claudeleloire
    Samedi 1er Décembre 2012 à 17:32

    sans rire, c'est possible, de retour de cette expo sur les golden sixties, bien des choses ont changé grâce à elles, dans le monde entier il y avait une poussée de révolte ayant conduit à des changements notoires et même si au fil du temps elles se sont atténuées au point d'être à ce jour ce que nous subissons, elles nous ont prouvé que TOUT peut se gagner à force de volonté !

    SITTING !

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